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Former et développer l’intelligence professionnelle
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L’un des principes fondamentaux de la didactique professionnelle est la place accordée à l’intelligence au travail à travers la conceptualisation dans l’action. En effet, comme l’ont montré les recherches inaugurales de Pierre Pastré (1992), l’action peut être conduite selon différents régimes, procéduraux, analytiques ou conceptuels. Lorsque l’action est construite au niveau conceptuel, le professionnel exerce et exprime son intelligence au travail : il identifie et interprète les situations avec lesquelles il doit agir, il réalise des diagnostics, il choisit les modalités d’action efficientes, il ajuste ou invente des modalités d’action nouvelles. Pour développer cette idée, Alain Savoyant (2008) distingue la part d’orientation et de contrôle de l’action de sa part d’exécution. Dans cette perspective, la visée de la formation et de l’enseignement professionnel est développementale et pas seulement adaptative. Pour la didactique professionnelle, c’est là le cœur de la notion de métier : il n’y a pas de métier sans intelligence et pas d’intelligence sans la construction et le développement de la part conceptuelle de l’action.
La didactique professionnelle, comme le souligne l’appellation de son association internationale Recherches et Pratiques en Didactique Professionnelle (RPDP) a deux finalités :
1. La recherche en didactique professionnelle se propose de comprendre la nature et les évolutions du travail ainsi que leurs conséquences sur les professionnels en termes de connaissances et de compétences. Considérer le travail humain revient alors à s’intéresser à la construction et au développement des compétences de métier par des professionnels ou, pour le dire autrement, à la transformation d’une personne en personne compétente. La didactique professionnelle étudie, pour cela, les conditions et les processus d’apprentissage dans le travail, par le travail et par la formation.
2. Sa deuxième finalité est d’ordre instrumental. La didactique professionnelle conçoit, développe et expérimente des outils conceptuels, méthodologiques et pratiques pour les mettre à disposition des praticiens de la formation professionnelle, initiale ou continue. La didactique professionnelle s’intéresse, pour cela, aux différentes tâches et situations de travail qui préoccupent les professionnels et les formateurs. Une posture de didactique professionnelle a pour objectif d’analyser et de comprendre les métiers et le travail mis à l’épreuve du temps et des transformations (instrumentales, normatives, sociales etc.), d’identifier les enjeux, les difficultés et les potentialités en termes de contenus de formation, de dispositifs et d’actions de formation pertinents.
En effet, il s’agit de concevoir des outils et des conditions qui favorisent l’apprentissage, permettent d’évaluer et de reconnaître les acquis et/ou ce qui fait difficulté dans les acquisitions, pour former les formateurs et les enseignants de la formation professionnelle.
Après Dijon, Nantes, Caen et Lille, le Vème colloque international de la RPDP se tiendra au Québec en octobre 2019. Au Québec, certains chercheurs ont contribué à développer la didactique professionnelle (Boudreault, 2002 ; Lenoir, 2008), voire l’ont adaptée au contexte local sous le nom de didactique des métiers (Holgado et Mayen, 2017).
Pour ce cinquième colloque, nous choisissons de mettre l’intelligence à l’honneur et, si l’on peut dire, au travail. En effet, selon Michel Foucault, on parle beaucoup d’un sujet dans une société quand il lui pose problème, même à son insu. Or, l’intelligence est aujourd’hui un sujet récurrent et, en tous domaines, on lui prête beaucoup de vertus et d’espoirs. Si l’intelligence artificielle domine le débat, on parle beaucoup moins de l’autre intelligence, celle des femmes et des hommes.
Actuellement, celle-ci ne semble ni se développer ni s’imposer comme une nécessité. Nous pouvons même constater que certaines conceptions réductrices demeurent ou retrouvent vigueur, en particulier la conception selon laquelle de nombreux métiers relèveraient du travail manuel, par opposition à ce que serait le travail intellectuel (Crawford, 2012). Le travail se réduirait alors à l’application de techniques ou de procédures, il requerrait des habiletés gestuelles séparées de la pensée.
En opposition, l’intelligence se développerait avec la fréquentation des savoirs savants et non par l’apprentissage et la pratique des métiers. Pourtant, depuis longtemps, de nombreuses recherches en psychologie ergonomique, en didactique professionnelle et en sociologie du travail, montrent que le travail et l’apprentissage d’un métier supposent une intelligence et sont sources de développement. De plus, le nombre d’emplois peu ou pas qualifiés s’est accru ces dernières années tout comme le nombre d’emplois très qualifiés. Parallèlement, les bouleversements des processus de production et des méthodes de travail impliquent une hausse des exigences envers la main-d’œuvre (Champy-Remoussenard, 2008 ; Organisation Internationale du travail, 2010). L’accroissement de la complexité des situations de travail requiert notamment d’être performant de façon autonome dans des environnements de travail en mutation constante (Ministère de l’Éducation, 2002 ; Ouellet, Ledoux et Fournier, 2015 ; Trottier, 2005). Mais, la nécessité de travailler et d’exercer un métier n’est que rarement considérée comme un moyen fondamental de développer l’intelligence et pas seulement a professionnalité des membres d’une société. Dans son chapitre intitulé « Les aspects professionnels de l’éducation », le philosophe John Dewey (2011) expose de façon étonnante le rôle de l’apprentissage et de l’exercice d’un métier dans le développement des personnes. Apprendre et exercer un métier n’est pas seulement l’occasion d’apprendre et de maîtriser des tâches et l’action relatives à ces tâches, c’est aussi l’occasion de construire et de développer l’intelligence dans tous ses aspects. Imaginons alors qu’il ne soit plus nécessaire d’apprendre pour travailler, qu’il ne soit plus nécessaire de travailler, quels en seraient les effets sur l’intelligence humaine ?
Les différentes tendances des mutations du travail conduisent à poser une série de questions : que devient l’intelligence des travailleurs si la part intelligente de la production est prise en charge par les machines ?
L’intelligence, comme toute forme d’activité, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Que devient-elle si de nombreux postes et fonctions, voire certains métiers viennent à disparaître ?
Des transformations de l’intelligence s’opèrent d’ores et déjà dans la société actuelle. Prenons un exemple : des études récentes mettent en évidence chez les jeunes le déficit de capacités à s’orienter dans l’espace tant l’utilisation des instruments de calcul des parcours (tel le GPS) est devenue hégémonique. Plus encore, ce qui est stimulé et développé par l’obligation de s’orienter et d’apprendre à s’orienter s’étend bien au-delà des capacités d’orientation. Le cerveau et plus globalement notre organisme vivant étant un tout unitaire, cela affecte, d’une manière ou d’une autre, l’ensemble des capacités cognitives et motrices, tel que le montre Laurent Alexandre dans son ouvrage récent La guerre des intelligences (2017).
Dans ce colloque, nous souhaitons accueillir des contributions qui éclairent et interrogent la question de l’intelligence au travail à partir des questions et préoccupations suivantes :