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Hommage au professeur Pierre Pastré par Patrick Mayen, président de RPDP

Pierre Pastré, un philosophe et un formateur ouvrier

 

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 Il y a déjà de nombreuses années, depuis qu'il avait été touché par un sévère AVC, que nous n'entendons plus la voix de Pierre Pastré et qu'il ne nous fait plus profiter de ses textes. Dans celui que je rédige aujourd'hui, en tant que président de l'association Recherches et Pratiques en didactique professionnelle, dont il a été, évidemment, le premier président, je voudrais évoquer quelques aspects et souvenirs de sa vie et de son œuvre, probablement pas tous très connus, pour le faire encore mieux connaître et estimer. 

 

Il se trouve que la sortie d'un livre, recueil de quelques-uns de ses articles ou conférences, est en cours d'impression, produit de la collaboration entre notre Association RPDP et les Editions Raison et Passions. Il comporte notamment des écrits « anciens », contemporains de sa thèse, fondatrice de la didactique professionnelle qu'il avait intitulée « essai pour introduire le concept de didactique professionnelle ». Titre classique, plus proche de ceux que l'on trouve en philosophie qu'en sciences de l'éducation et de la formation, trace de son parcours de philosophe engagé dans les affaires de la formation des adultes et de la formation professionnelle.

 J'ai relu sa thèse ainsi qu'un long rapport de recherche dans lequel il faisait le compte-rendu de ses travaux réalisés, en usine, pour analyser le travail des confectionneuses de cigarettes à la SEITA à Dijon, (qu'il a évoqué dans ses cours ou ses interventions orales, mais pour ainsi dire, jamais repris dans un article) et celui des opérateurs de presses à injecter qui a donné lieu à sa recherche de doctorat. Ce que j'appelle « le premier Pastré » mérite assurément d'être relu. Tout d'abord parce qu'on y suit le parcours de création de la didactique professionnelle dans son époque et les intentions que Pierre Pastré lui assigne. Ensuite parce qu'il y « montre » ses méthodes. Celles qu'il aborde trop rapidement dans ses articles et dans son livre, au risque de laisser un peu démunis ceux qui emprunteront derrière lui le chemin de la didactique professionnelle.

 J'ai ainsi raconté à plusieurs reprises la manière dont il entrait et vivait dans un terrain de recherche, ce qu'il me racontait « en direct » puisque je travaillais alors avec lui au Cafoc de Dijon. Il y restait longtemps, connaissait membres de la direction, cadres et cadres intermédiaires, et bien sûr les opérateurs. Il avait tenu le poste de confection de cigarettes, pouvait tenir celui d'opérateur de presses à injecter. Il mangeait à la cantine de ces entreprises. La tâche, il la connaissait par l'immersion, l'examen attentif des documents techniques, les entretiens sur place avec les ingénieurs et techniciens, les chefs d'équipe. Il cherchait toujours à saisir la « logique » de fonctionnement du système technique avec lequel les sujets de sa recherche devaient penser et agir. On est loin de quelques simplifications fréquentes qui réduisent l'analyse du travail à l'analyse de l'activité, ou l'analyse de la tâche à celle de la « tâche prescrite ».

Démarche ethnologique ? Proche de celle-ci sans doute, mais jamais revendiquée comme telle. Démarche tout simplement fidèle à celle des prédécesseurs qui l'avaient inspiré, les psychologues du travail, Faverge et Ombredane, qu'il citait souvent, et Jacques Leplat, bien sûr, un des membres de son jury de thèse. L'activité, il la découvrait et la connaissait par la présence auprès des « opérateurs » et « opératrices », ses observations, mais aussi ses entretiens qui n'étaient pas seulement d'explicitation mais assez proches, par moments, des entretiens que Piaget avait avec les enfants, faits aussi de suggestions, contre suggestions. Il proposait de placer ceux qui participaient à ses recherches à des mises en situation, soit, comme dans la recherche sur les presses à injecteur, à partir de cas, à partir de problèmes qu'ils devaient résoudre sur une sorte de maquette en bois, simulant le mouvement de la presse qu'il avait fabriquée chez lui, dans son atelier de menuiserie. Bref, une pluralité de moyens d'approcher le travail, les raisonnements, les apprentissages et le développement.

 Pierre Pastré était un enseignant de la didactique professionnelle, mais c'était aussi un formateur qui avait rencontré de nombreux publics, et lorsqu'il travaillait au Cafoc, institution chargée de la formation des formateurs des Greta, était un formateur de formateurs. Lorsque je l'ai rencontré, en tant que stagiaire adulte en formation, en 1986, il dirigeait, à Dijon le cycle de formation en deux années, de responsable de formation, sous l'égide du CNAM. Il nous formait à l'analyse des organisations, à la connaissance des groupes, à la psychologie du travail et à celle de Piaget, à la pédagogie des adultes. Ces connaissances et ces expériences de formateur constituent un fondement de sa pratique de chercheur mais aussi de la didactique professionnelle qu'il n'a pas vraiment transmises comme telles. Pourtant, c'est aussi ce qui faisait toute sa proximité avec les formateurs et professionnels de la formation qu'il a formés et encadrés, et tout le « succès » rencontré par la didactique professionnelle dans le champ de la formation.

 Philosophe et formateur, mais aussi formateur philosophe, philosophe « ouvrier », comme il avait été, aux alentours de 1968, quelques temps, prêtre-ouvrier, après ses études au grand séminaire de Besançon, sa région d'origine, celle, entre autres, des usines Peugeot. Il avait rapidement quitté la prêtrise, en conflit avec son évêque et avait passé l'agrégation de philosophie, pour devenir enseignant avant de rejoindre le monde de la formation des adultes. Celui-ci vivait son âge d'or,  après les lois de 1971, celui où il fallait inventer l'ingénierie de formation, former les formateurs, créer méthodes et principes, adapter concepts et méthodes d'autres disciplines pour créer un champ de recherche et de pratiques nouveau et original. Pierre Pastré a créé la didactique professionnelle, à partir de cette longue expérience de ce milieu, mais il l'a écrit, parce qu'il voulait donner à la formation, des principes conceptuels, une assise théorique.

 Son principe « organisateur », en tous les cas, celui qu'il exprimait le plus vivement a été le développement des adultes. Ce principe sous-entend aussi que tout adulte, quel que soit son parcours, sa situation professionnelle, peut apprendre et se développer, c'est-à-dire se transformer vers le haut. C'est la mission de la formation tout comme ce sont la finalité et le principe organisateur de la didactique professionnelle. C'est sans doute encore plus essentiel aujourd'hui, où la pensée et les capacités de penser, sont encore plus enjeux de formation qu'ils ne l'étaient en 1992, date de naissance de la didactique professionnelle.

 Un certain nombre de gens ont reproché à la didactique professionnelle de réduire le développement au développement cognitif. Cela n'a jamais été le cas dans l'esprit de son créateur. Il connaissait trop bien les milieux, l'état et les évolutions de la société, pour le faire. Il se situait simplement mais radicalement dans une ligne, celle de l'éducation et de la formation des adultes, certainement pas le moyen de résoudre tous les problèmes de la société, mais seulement de participer à ce que les adultes, notamment sans doute ceux qu'on appelait les bas niveaux de qualification, soient un peu plus capables de connaître, de raisonner, de penser, au sein de leur métier ou de leur travail et, au sein de leur vie.

Pierre Pastré est décédé le 30 octobre 2023