Chers amis,
Le message annonçant le décès de Pierre Pastré m’attriste profondément. Pour moi, Pierre est indissociablement rattaché au Cnam. L’un et l’autre ont changé ma vie, et pas seulement professionnelle.
En 2006, dix ans après mes études de psychologie du travail débutées sous la direction de C. Dejours et terminées avec Y. Clot, j’étais manager pédagogique à la direction de l’enseignement de la CCI de Paris, chargé d’accompagner les professionnels dans leur mue identitaire pour devenir formateurs à HEC, ESCP, Ferrandi, Tecomah, CFI, etc. Conscient de n’avoir pas assez développé l’analyse du travail pour réconcilier l’atelier et la salle de classe, je ne supportais plus d’entendre les tuteurs dire à leurs apprentis : « ici, ce n’est pas l’école, c’est la vraie vie ». Après avoir fait part de mes interrogations à Yves Clot, celui-ci m’a conseillé d’intégrer le master de recherche en formation des adultes (dirigé par Jean-Marie Barbier et Mokhtar Kaddouri) où Pierre enseignait… et de m’intéresser sérieusement à la didactique professionnelle. Parmi de nombreux bons souvenirs, voici quelques moments où Pierre a joué et joue encore un rôle important dans mon parcours de vie :
Au début de son module, Pierre avait demandé à chaque auditeur sa première idée de mémoire. A l’énoncé maladroit, il répondait par une problématisation, une idée de terrain et des auteurs de référence. Son regard nous fixait, sa voix claire et ses phrases assurées nous sidéraient. 10mn chacun. Nous étions 18. Au bout de la matinée, rincés, étourdis de conseils prodigués, de notes prises à la hâte, nous étions persuadés que l’exercice résidait autant dans la compréhension des sujets des copains que dans le commentaire du nôtre. Le plus impressionnant était sa qualité d’écoute et l’égale attention au dernier comme au premier d’entre nous. En fin de formation, en pleine écriture de mémoire lorsque nous retombions sur les notes de ce cours, nous nous téléphonions les uns aux autres : « dis donc, tu as relu ce que t’avait dit Pastré il y a un an ? c’est pile ce à quoi j’arrive après mes turpitudes de terrain et de lectures ! »
En 2007, Pierre accepte d’être mon directeur de mémoire. Je sortais tard du boulot et il m’attendait dans son bureau pour un rendez-vous de suivi. Sa lecture attentive de mes notes de terrain lui inspire une recommandation :
- il faut procéder par épisode, me dit-il
- par épisode ? mais comment on fait pour savoir ce qu’il faut retenir et ce qu’il faut laisser ?
- tu regardes
- …
- tu restes longtemps et tu observes. Il faut être là.
Enfin, en 2009, je suis embauché chez Didaction qui – comme son nom l’indique – puise son mode d’intervention dans la didactique professionnelle. En 1991, ce cabinet a été fondé par Francis Minet après avoir validé le cycle FFPS du Cnam en alternance sur deux ans (Fonction Formateur et Prévision Sociale) dirigé par Marcel Lesne et Gérard Malglaive. Soutenue devant un jury composé de Pierre Pastré, Gérard Malglaive et Pierre Rabardel, sa thèse professionnelle sera publiée sous le titre « L’analyse de l’activité et la formation des compétences » (L’Harmattan, 1995). Assidu lecteur d’Education Permanente, fidèle participant aux colloques de recherche, des séminaires TAF à Eduter, membre de RPDP depuis son origine, je dois beaucoup à Francis Minet pour m’avoir continuellement fait lire/relire Pastré, Mayen et leurs disciples, pour m’obliger à maintenir une rigueur de l’observation directe et de la transposition didactique jusqu’à l’ingénierie de formation.
Aujourd’hui encore, en parallèle de mes missions en entreprise, j’enseigne et suis directeur de mémoire dans plusieurs M2 (Cnam, Montsouris, Sorbonne). Ceux avec qui je travaille – qu’ils soient clients ou étudiants –, tous sont amenés à entendre Pierre (en vidéo de l’UODC) ou à lire ses écrits. Il est donc vivant, et son œuvre aussi.
In memoriam
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