Nous avons appris le décès de Jacques Leplat. Nous présentons nos condoléances à ses proches. Les membres du conseil d'administration de RPDP souhaitaient qu'un hommage lui soit rendu. Patrick Mayen évoque ici la personne dont l'exigence de rigueur et la robustesse de ses propositions lui ont servi d'exemples pour progresser.
Par Patrick Mayen, président de RPDP le 28/04/2023
Jacques Leplat occupe une place (discrète comme il l'était lui-même) plus essentielle qu'il pourrait y paraître.
On pourrait d'abord rappeler que, s'il a joué un grand rôle dans la constitution de la psychologie du travail, il a commencé à le faire dans le contexte de la formation professionnelle des adultes. Il a écrit des articles et un petit livre à ce sujet. S'il fait partie des inventeurs, après Ombredanne et Faverge, de l'idée selon laquelle il est nécessaire d'analyser le travail avant de concevoir des formations, il est intéressant de souligner qu'il s'est toujours préoccupé au moins autant de l'apprentissage d'une part, en soulignant qu'il est tout aussi nécessaire d'analyser l'apprentissage d'une tâche ou d'un métier ; d'autre part en insistant sur l'importance de disposer de différents modèles en matière de processus et conditions d'apprentissage.
On voit ainsi dans ses textes les plus anciens datant de la fin des années 1950, qu'il se réfère déjà aux travaux les plus récents de son époque pour penser la formation des professionnels.
Ce n'est pas que pour l'anecdote qu'il faut aussi se souvenir qu'il faisait partie du jury de thèse de Pierre Pastré, en 1992 ; ce dernier ayant été, comme beaucoup d'autres un « visiteur » du bureau de Jacques Leplat pour discuter de ses recherches et obtenir de précieux conseils. Les apports de Leplat, notamment en matière de méthodes d'analyse du travail, sont très présents dans les références des chercheurs en didactique professionnelle.
Il a aussi été le directeur de thèse d'Alain Savoyant, presque dix ans plus tôt et il l'a beaucoup encouragé à soutenir et diffuser les travaux de Leontiev, Galpérine et Talyzina. Les recherches de ces deux derniers ayant là encore pour objet la question de l'apprentissage. On trouve chez Savoyant comme chez Leplat, une préoccupation importante pour le travail collectif et son apprentissage.
Pour ma part, j'ai lu et relu attentivement les articles de Jacques Leplat et suis aussi allé discuter avec lui. Il a été un exemple dont j'ai essayé de m'inspirer, sans toutefois l'égaler, principalement sur deux points : le premier est celui de sa capacité à énoncer des choses complexes, profondes, essentielles dans un langage accessible. On ne trouve pas de jargon dans ses textes. Dans le même sens, il se méfiait de ce qu'il appelait « des grands systèmes ». Il se tenait à une position pragmatique, préoccupé « simplement » de la validité de ce qu'il énonçait et des possibilités d'action que ses propositions conceptuelles ou de méthodes pouvaient apporter pour les psychologues, les ergonomes et les formateurs. Le deuxième point tient à la robustesse de ses propositions. Certains ont émis des critiques leur reprochant un manque de subtilité. La lecture de leurs propos permet de constater qu'ils s'égarent le plus souvent dans des arguties, parfois illisibles, et surtout qu'ils relèvent plus de positions idéologiques que scientifiques ou professionnelles. Ce que j'appelle la robustesse de ses propositions n'empêchait pas leur capacité de pouvoir éclairer des phénomènes complexes. Elle m'a toujours servi de « garde-fou » en allant jusqu'au bout des démarches méthodologiques et en n'en écartant aucune sans avoir relu plusieurs fois et repensé plus de fois encore à ce qu'elles signifiaient et impliquaient.
Je n'évoquerai ici que les apports de Leplat sur l'importance de l'analyse de la tâche, que nombre de gens ont fini par écarter plus ou moins complètement sous prétexte de se consacrer à l'analyse de l'activité, bien plus «noble» parce qu'elle concernerait « le sujet ». Cela aboutit à ce que craignait précisément Leplat, à savoir que l'activité d'une personne se réalise en fonction des conditions avec lesquelles il est aux prises. L'analyse de la tâche devait, pour lui, aller très loin. Je l'ai vu critiquer durement des recherches qui oubliaient d'analyser l'organisation générale du travail dans un type d'entreprise donné et se tenaient dans une acception très étroite de ce qu'est une tâche, réduite au périmètre immédiat du travail. De même, la lecture de Leplat permet de ne jamais tomber dans la trop restreinte opposition entre tâche prescrite et tâche effective. Les prescriptions n'étant qu'une toute petite partie de la tâche.
Je terminerai ce petit mot d'hommage en revenant à son article intitulé «les représentations fonctionnelles». Il y reprend la notion d'image opérative d'Ochanine, une notion centrale et fondatrice pour Pierre Pastré. Ce texte est d'une clarté exceptionnelle. Je l'ai souvent proposé comme texte de base pour aborder la notion de représentation et entrer dans la didactique professionnelle. C'est là que l'on peut saisir au mieux la proximité de la didactique professionnelle et de la psychologie du travail selon Jacques Leplat. Si l'on devait désigner une vingtaine de textes fondateurs de la didactique professionnelle, je pense que plusieurs de ses textes devraient y figurer.
Commentaires
Merci Patrick pour ce rappel de son importance et de ses ancrages.
Il m’inspirera toujours.
Avec tristesse, tendresse et reconnaissance
Céline Chatigny