connaissance (2)

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Interview par Philippe INOWLOCKI

Gérard Delacour (2017). Le Savoir n’est pas la Connaissance. Manuel pour concevoir une formation, Préface Isabelle Vinatier. Toulouse : éditions OCTARES.

 

Voici les questions que je lui adresse, pendant que je fais connaissance avec l'ouvrage, dense, en trois tomes reliés. Si très vite à la lecture des premières pages, il nous est manifeste que c'est un manuel par son approche méthodologique formalisée, c'est aussi et en même temps un récit et le témoignage d'une expérience de vie professionnelle. Il faut alors se laisser guider. 

 

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QUESTIONS A L’AUTEUR

 

1. Pourrait-on dire qu'il s'agit d'un manuel d'ingénierie didactique professionnelle ? Il s'agirait alors du premier, il me semble. J'ai pu repérer des références aux méthodes cliniques pour les entretiens exploratoires et d'explicitation (Rogers, Porter…). Quelles sont tes autres références ? 

J’ai souhaité écrire un manuel, avec des explications pas à pas qui permettent au lecteur de réaliser les actions décrites. Cependant je ne souhaite pas utiliser la qualification de didactique professionnelle car je ne l’ai jamais enseignée en tant que telle. D’autre part, il est exact que j’emprunte, comme tout chercheur qui expérimente les consignes d’autres chercheurs, certains éléments de construction à Carl Rogers et à Porter. Piaget, Vergnaud, Pastré, Isabelle Vinatier et Pierre Rabardel sont aussi très centraux. La bibliographie indique qui a concrètement alimenté ma réflexion et mes travaux. Ce qui compte néanmoins, car mon érudition est limitée comme celle de tous les praticiens de la formation qui ont passé leurs journées davantage sur le terrain qu’à l’étude, c’est la conceptualisation, véritablement dans et en action, qui s’est fait jour peu à peu en moi-même. J’ai procédé, comme tout le monde, par essais-erreurs, j’ai été ô combien Bachelardien… et j’ai appliqué. Je suis retourné voir et entendre ce qu’en faisaient les utilisateurs. J’ai corrigé. Il faudrait encore le faire, et encore, car tout évolue sans cesse.

Pour résumer, j’ai voulu livrer le cœur d’une méthode que j’ai portée à la fois sur les fonds baptismaux de la théorie mais d’abord et avant tout comme outil de conception et de réalisation de programmes de formation adaptés aux personnes apprenantes. Et que j’ai pu expérimenter sur environ 12.000 apprenants, avec l’obsession de tester et de parfaire l’approche du point de vue du Sujet apprenant. C’est ce que je livre dans la première partie, environ 90 pages, de mon livre.

 

 

2. Penses-tu — et comment le fais tu ? — qu'il faille dépasser la dichotomie très présente en sciences de l'éducation et en particulier, dans le champ de la formation des adultes au travail, entre "approches centrées sur le sujet et approches centrées sur les technologies" ? 

Pour moi, seule l’approche centrée sur le Sujet singulier permet de concevoir et de réaliser des programmes qui remplissent le mieux possible leurs objectifs : permettre aux apprenants, — qui ne sont jamais des ignorants, même lorsqu’ils sont novices —, de s’approprier le Savoir qui leur est approprié. Quelle que soit votre conception politique ou idéologique de la société, — je fais allusion aux finalités, par exemple à l’économie de marché actuelle —, il est incontournable de chercher, trouver, extraire et utiliser pour la conception le point de vue de l’apprenant. Vouloir passer outre, penser que le Savoir, même superbement présenté, suffit, est une erreur. Dont les conséquences sont faciles à pointer.

Pour te répondre, l’approche dont tu parles ne signifie pas la même chose dans les deux membres de ta question : l’approche par les technologies est simplement le mirage créé par des développements successifs, incessants et divers qui renforce soit l’imbécillité chez les naïfs — par exemple, croire au cerveau-ordinateur du transhumanisme —, soit les revenus des escrocs — par exemple les effets d’annonce sur l’apprentissage des ordinateurs et l’intelligence artificielle —. La 2e partie de mon livre aborde la question de la place des technologies numériques dans le schéma Savoir-Connaissance, comment les utiliser, pour quoi faire, etc.

Il demeure une vraie grande difficulté, — à laquelle j’ai voulu proposer dans mon livre des pistes de solutions expérimentées en vraie grandeur — : la formation des formateurs à la recherche et à l’extraction du cadre de référence des apprenants fait gravement défaut. Et ce pour deux raisons institutionnelles. D’une part, la Sainte Théorie de l’Information impose son modèle faux : [plein (à déverser) à vide (à remplir)], en faisant croire, de plus, que les technologies sont là pour ça ; d’autre part, la soumission aux maîtres d’ouvrage qui demandent des programmes tout prêt de Savoir, alors que ce qu’il faut ce sont des programmes pour transmettre ce Savoir et en faire des connaissances appropriées aux apprenants. Ils ne savent pas que le Savoir est si réellement extérieur au Sujet singulier qu’il est extrêmement rare qu’il lui soit adapté, auquel cas on peut dire qu’on a gagné à Euro Million ! La tâche d’extraire le point de vue de l’apprenant paraît impossible au formateur qui fait donc ce qu’il peut. L’apprenant ayant pour tâche de son côté de faire comme il peut pour assimiler et transformer ce dont il a besoin ou envie, en glanant dans les savoirs qui lui sont distribués.

 

 

3. Le concept d’insension a été développé dans ta thèse. Considères-tu qu'il n'existe pas pour un apprenant de développement identitaire et cognitif sans invention de sa propre connaissance, est-ce cela l'insension ?

L’insension est un vocable que j’ai inventé car je n’ai pas trouvé — pas encore — d’équivalent dans la littérature. L’insension, c’est le fait, pour et par le Sujet singulier — toi, moi, tout Sujet apprenant — de mettre en sens, de donner du sens à un Savoir et de se l’approprier : « j’ai compris », eurêka, c’est une insension. J’ai tenté de théoriser, dans la 3e partie du livre ce passage intérieur au Sujet, d’autant plus difficile à décrire que s’il est bien en gestation parfois très longtemps, il ne peut néanmoins se décomposer en étapes, ni se déduire, ni se calculer car il est de l’ordre de l’induction et met en œuvre l’imaginaire. Il ne peut qu’être vécu intimement par le Sujet singulier. Ma référence majeure est l’enseignement socratique qui procède par questionnement, comme dans le dialogue du Ménon. Non que je reprenne stricto sensu cette méthode, mais que ce qui s’y trame, ce qui s’y passe, est présent dans tout apprentissage réussi. Oui, il y a à la fois production et construction dans l’insension : production de sens pour et par le Sujet cognitif, construction identitaire pour le Sujet singulier, qui forment un seul et même être. Je dis cela pour étendre des recherches futures au monde animal. On apprend comme on invente, sinon on ne comprend pas vraiment. C’est le biberon caché. Toujours lui ! L’acquisition de schème se fait par insension. Et instruire, pour tout formateur, c’est faciliter le passage de Savoir à Connaissance, c’est-à-dire l’insension chez ses apprenants. Je propose une approche, un bout de méthode, un bout de pelote, et j’espère être commenté, interrogé, amendé, complété, développé.

Gérard Delacour, 26 juillet 2017.

 

Extrait Chapitre 9 INDUCTION ET INSENSION Paragraphe 35 p.229 : L'acte d'insension, [Définition] "C’est le point où j’ai proposé, par nécessité, le mot INSENSION pour désigner ce moment du pour-soi à l’oeuvre, c’est-à-dire lorsque le Sujet vit son apprendre comme inventer dans un surgissement du sens.

Pour le Sujet apprenant, cela désigne le savoir qui passe de son statut extrinsèque référencé à la connaissance intrinsèque utilisable pour et par ce Sujet. Il manquait un mot, pour désigner cet instant de passage qui est au cœur de mon interrogation : dans le substantif INSENSION, le préfixe in— pointe le “dans” de induction et invention. « Ce préfixe entre dans la formation de mots où il indique le mouvement vers l’intérieur ou la position intérieure, spatiale ou temporelle » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, 1998, p. 1801).

 Photo Isabelle Vinatier, Gérard Delacour lors de la journée d'étude sur l'enseignement de la DP, décembre 2015 à Paris

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hboudreault.jpg?w=125Henri Boudreault, Ph.D. professeur à l'UQAM en enseignement en formation professionnelle et technique, contributeur au dernier 4ième colloque de DP à Lille,  a lu le nouveau livre de Gérard Delacour " Le Savoir n’est pas la Connaissance, Manuel pour concevoir une formation", il en publie une recension sur son site didapro.me/

"Une phrase clé qu’il utilise et qui doit nous inspirer tous les jours, en ce nouveau début d’année scolaire  "Il existe bien des savoirs ignorés, il n’existe pas d’apprenant ignorant !" . Cela nous amène à comprendre que l’environnement d’apprentissage qu’il faut concevoir doit permettre à l’apprenant d’établir ce qu’il sait et de découvrir, par lui-même, les savoirs qu’il ignore, pour ainsi vouloir l’acquérir, l’apprendre, le connaître et ainsi avoir le pouvoir de s’en servir."

Son billet ici

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